Sablés farcis aux fruits secs (Ghryiba menkoucha)

GhryibaMenkoucha
Hind
par

« A quoi servent les petites gâteaux ? » « A raconter sa vie ».Telle était l’invariable réponse de ma grand-mère paternelle à ma question enfantine obsédante. Je me souviens de ces après-midis languissantes ,dont seuls les pays du sud ont le secret, où cette même grand-mère me trainait, endimanchée, prendre le thé avec ses copines. Nous franchissions alors un pont entre deux mondes, entre le Rabat ville nouvelle avec ses immeubles art-déco et ses boulevards dessinés à l’équerre, et la médina , l’ancienne ville, jalousement préservée derrière ses murailles rouges de l’époque almohade.

Et là le monde des merveilles s’ouvrait à l’enfant que j’étais.

Dans les dédales des ruelles, j’observais d’abord le fabriquant de warka (équivalent de la feuille de brick mais plus fine) qui maniait avec dextérité une boule de pâte élastique avant de la déposer en gestes rapides sur une sorte d’immense crêpière dont sortait les fabuleuses feuilles destinées aux futures pastillas et autres briwates. Nous poursuivions avec la rue des marchands de cuivre et d’argent et les bruits incessants des petits marteaux qui dessinaient des arabesques somptueuses sans aucun outil de mesure. Venaient ensuite le quartier des marchands de tapis et l’odeur de l’atlas imprégnant les créations des femmes berbères, dont j’admirais les dessins énigmatiques témoignages d’une langue hiéroglyphique mystérieuse. Se succédaient alors les artisans du cuir avec leurs babouches cousues main, les vitrines scintillantes des bijoutiers, les montagnes d’épices et de fruits secs, la gouaille des marchands de légumes pour attirer le chaland, le chatoiement des étals d’étoffe, les abeilles insistantes autour de la charrette du marchand de nougat et le bruit tentateur du chfenj (beignets marocains) trempant dans la friture brulante.

Soudain, nous tournions par une artère dérobée, la clameur se faisaient lointaine, la rue plus étroite, puis derrière une façade anonyme passée à la chaux, une porte s’ouvrait sous les coups de main de fatma insistants de ma grand-mère.

La maison appartenant à une famille d’origine andalouse, ces fameux morisques chassés d’Espagne après la reconquista au 16ème et 17ème sièce, et leur nom à consonance ibérique fascinait l’enfant que j’étais.

Après les salutations d’usage, nous prenions place dans le salon marocain, faisant face au patio, et ces dames commençaient leur bavardage. Et là, le curriculum vitae de tous les R’batis(habitants de Rabat) était passé au crible : mariages, naissances, divorces, scandales, enfants, finances, voyages, tout y passait ! Ces dames avaient l’art, tout en préservant une exquise politesse de dévoiler la vie intime de tout leur entourage en insistant sur les « breaking news » tout en dégustant savamment des petits gâteaux avec leur thé à la menthe et aux fleurs d’oranger fraiches.

Moi je n’avais d’yeux que pour le patio et les gâteaux. Orangers amers et citronniers ployaient doucement sous la brise du sud en diffusant un parfum entêtant, au milieu des zelliges multicolores et des colonnes finement ouvragées. Des oiseaux de passages venaient s’y percher tandis qu’une chanson d’amour d’Oum Kalsoum résonnait en sourdine.

Bercée par la beauté du patio,je lorgnais avidement le plateau de gourmandises : cornes de gazelles, sablés aux pistaches, ghryibas, briwates aux amandes, biscuits aux dates, mignardises à la noix de coco, nougats au sésame, je ne savais plus où donner de la tête. Tout évidemment était fait maison, cuit dans le four à bois du quartier, et scruté sévèrement par les convives. Car chaque maitresse de maison se devait d’obéir à des critères de la plus haute exigence :

  • les gâteaux devaient être le plus petit possible de la taille d’une bouchée pour appuyer la dignité de ces dames: pas question de de servir des briwates de la taille d’une main. Outrage suprême !
  • Les ingrédients devaient être frais et de bonne qualité : le sirop de sucre à la place du miel ou le colorant à la place du safran passaient pour une offense impardonnable.
  • La cuisson se devait d’être parfaite : le moindre sablé cru ou trop cuit donnait lieu à des jugements implacables sur les qualités de l’hôte, dont la réputation se voyait impitoyablement ternie pour les siècles à venir.

Loin de cette cruauté de bon aloi, je rêvassais en observant le manège des oiseaux et en comptant les étoiles dans les zelliges tout en me barbouillant de sucre glace. J’en apprenais plus sur la destinée de mes congénères en une heure que dans toute une vie !

Petite dédicace aujourd’hui à ces après-midis nonchalantes avec ma propre version des petits sablés farcis aux fruits secs que l’on nomme Gryiba menkoucha( sablés ornés ou sculptés). Comme vous le savez peut-être depuis la recette des Gryibas au sésame noir, ghryiba veut littéralement dire fondre dans la bouche. Ces petits biscuits demandent un peu de concentration pour bien refermer la pâte sur les fruits secs, ainsi que des moules ou empreintes à biscuits pour faire un joli dessin. Mais vous serez récompensés de votre patience lors de la première bouchée croquée!

Pour 20 à 25 biscuits :

  • 300g de farine à pâtisserie
  • 60g de beurre demi-sel à température ambiante
  • 60g de beurre à température ambiante
  • 5 cl d’huile végétale (tournesol ou pépins de raisins)
  • 60g de sucre de canne blond
  • 1 pincée de levure chimique
  • ½ cc de gingembre en poudre
  • ½ cc de cannelle en poudre
  • 2 c à s d’eau de fleur d’oranger
  • 25g de raisins secs
  • 25g d’airelles séchées
  • 25 g de noix
  • 25g d’amandes avec peau légèrement torréfiées à sec.
  • Sucre glace pour servir.

Préchauffez le foGhryibaMenkoucha3ur à 180° c.

Dynamitons les fruits secs : hachez au couteau ou au robot les airelles, les raisins, les noix et les amandes. Mélangez le tout et réservez.

Travaillez les deux beurres avec le sucre en pommade à l’aide d’un fouet, ajoutez le gingembre et la cannelle, la farine, l’huile, l’eau de fleur d’oranger et la pincée de levure chimique. Mélangez le tout soigneusement et déposez votre œuvre au frais pendant 45 minutes.

Passons aux choses sérieuses c’est-à-dire à l’atelier boulettes ! Formez de petites boules de pâte en essayant d’avoir toujours le même gabarit par exemple avec une cuillère parisienne ou une cuillère à café.

Creusez légèrement chaque boule(avec l’index ou le manche d’une spatule) et remplissez le centre avec environ une demi-cuillère à café de fruits secs. Refermez soigneusement la boule et aplatissez légèrement le tout. Recommencez jusqu’à épuisement de la pâte ou du cuisiner ! Disposez ensuite les petites boulettes sur une plaque recouverte de papier sulfurisé ou de silicone.

Farinez légèrement les empreintes à gâteau et appuyez avec abnégation sur chaque boulette de façon à avoir une belle décoration.

Enfournez pour environ 15 à 20 minutes jusqu’à ce que les sablés soient bien dorés.

Laissez refroidir sur une grille avant de saupoudrer de sucre glace. Croquez avec un bon thé à la menthe en rêvant à des patios d’orangers.

GhryibaMenkoucha5

print
Partager

Commentaires

  1. Beaux souvenirs, et si bien racontés… Ca me donne envie de me lancer dans ces petits biscuits 😉 (et j’adore tes petits moules).

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *