Pressée de topinambours aux poireaux et à la bergamote

PresséeT opinambours poireaux à la bergamote
Hind
par

« Trois d’entre eux, ignorans combien couttera un jour à leur repos, et à leur bonheur, la cognoissance des corruptions de deçà, et que de ce commerce naistra leur ruine, comme je presuppose qu’elle soit des-ja avancée […] furent à Roüan, du temps que le feu Roy Charles neufiesme y estoit : le Roy parla à eux long temps, on leur fit voir nostre façon, nostre pompe, la forme d’une belle ville : apres cela, quelqu’un en demanda leur advis, et voulut sçavoir d’eux, ce qu’ils yavoient trouvé de plus admirable […]. Ils dirent qu’ils trouvoient en premier lieu fort estrange, que tant de grands hommes portans barbe, forts et armez, qui estoient autour du Roy (il est vray-semblable qu’ils parloient des Suisses de sa garde) se soubmissent à obeir à un enfant, et qu’on ne choisissoit plustost quelqu’un d’entre eux pour commander : Secondement (ils ont une façon de leur langage telle qu’ils nomment les hommes, moitié les uns des autres) qu’ils avoyent apperceu qu’il y avoit parmy nous des hommes pleins et gorgez de toutes sortes de commoditez, et que leurs moitiez estoient mendians à leurs portes, décharnez de faim et de pauvreté ; et trouvoient estrange comme ces moitiez icy necessiteuses, pouvoient souffrir une telle injustice, qu’ils ne prinsent les autres à la gorge, ou missent le feu à leurs maisons. »

Montaigne , essais, ‘Des cannibales ‘, chapitre XXX.

Mais de qui parle donc ainsi le sage Montaigne , en cet an de grace 1562 , à Rouen, Royaume de France? Hé bien de trois chefs de la tribu tupinamba venus visiter le roi de France, dans un contexte bien agité de guerres de religion et de « découverte » de l’Amérique. Tribus originaires d’Amazonie, les tupis, tominambous, tupinambas, Toûoupinambaoults, _ enfin bref personne ne sait comment les nommer exactement, constituent l’attraction tristement exotique de l’époque et sont connus accessoirement pour leur cannibalisme. Mais que le bon peuple se rassure :les tupis ne trucidaient avant de les déguster que leurs ennemis , jamais des membres de la même famille. Nous voilà rassérénés! Même le cannibalisme a ses règles qu’on se le dise! Montaigne se fit fort de décrire de manière détaillée et objective les us et les coutumes des visiteurs amazoniens  dans les paragraphes précédent l’extrait ci-dessus.

Extrait par ailleurs fort intéressant qui nous interroge sur les notions de barbarie et de civilisation, face au regard de nos brésiliens sur la société européenne de l’époque : Primo nos amis s’esclaffent à l’idée que des adultes s’inclinent devant un enfant (le gamin roi charles 9 n’est pas encore majeur à l’époque), secundo ils sont choqués par l’inégale distribution des richesses.

Moi je vous le dis tout net : les topis auraient eu leur place dans les débats sur le développement durable et l’avenir de notre planète encore aujourd’hui ! (A condition de ne pas finir dans leur potage suite à un échange houleux)

Bien. Tout cela ne nous dit pas pourquoi cette tribu anthropophage a donné son nom à un tubercule, jadis honni, mais remis fort heureusement au gout du jour grâce à l’agriculture biologique. Ami lecteur nous attaquons là l’un des grands mystères de la botanique potagère, digne des énigmes du masque de fer et du trésor des templiers réunis.

Car oui la racine biscornue se fait connaitre dès 1603 grâce à Samuel Champlain, un saintongeais parti au Canada pour commercer de la fourrure. Il est le premier à mentionner cette plante à la forme quasi-martienne et au gout d’artichaut et qu’on nommera successivement  » Soleil de pourceau « , « bordon (vielle fille) du canada « , « chiquelis « . Bref la racine laisses les lexicologues perplexes et les patronymes de la brésilienne racine sont tout sauf glamour!

C’est alors que les topinambas débarquent en grande pompe de nouveau en France en 1613, et par un curieux truchement linguistique, les « truffes du canada » deviennent les topinambaux, topinambous avant de s’achever en topinambours. La carrière du tubercule est désormais lancée. Avant de sombrer dans l’oubli pendant la sombre période de la deuxième guerre mondiale, où il sauve certes de la famine mais laisse un souvenir amer à des générations entières. Le topinambour connaitra un purgatoire d’un demi-siècle avant d’être relancé à nouveau grâce à l’agriculture biologique. Vis ma vie de légume oublié.

Le topinambour aujourd’hui sera accommodé dans une recette légère, façon pressée d’hiver avec l’alliacée star de la saison , le poireau  accompagné de la vinaigrette de janvier  aux parfums de l’éphémère bergamote. Vous pouvez bien évidemment utiliser du citron hors saison(ou encore de l’orange).

Nous sommes en mode « slow food » ici : rien ne sert de courir, il faut partir à point, la veille très exactement.

Cette terrine est fragile car il n’y a pas d’agent gélifiant : choisissez un bon couteau pour l’assaillir délicatement. En même temps rien n’interdit de briser le fragile équilibre des choses.

Pour 4 à 6 personnes (et un moule à terrine de 28 cm de longueur), à faire la veille

Pressée :

  • 6 à 7 poireaux
  • 8 à 10 petits topinambours
  • Le jus d’un citron

Vinaigrette à la bergamote :

  • Le jus et le zeste d’une bergamote
  • 4 c à s d’huile de noix ou de noisette première pression à froid
  • 2 c à s d’huile d’olive première pression à froid
  • 1,5 cc de thym séché
  • Sel, poivre

Commençons par préparer amoureusement le moule à terrine (ou à cake) : chemiser confortablement le moule avec du film alimentaire en laissant bien dépasser les bords.

Portez à ébullition 3 litres d’eau additionnées de 3 litres de sel : coupez les poireaux en deux en les décoiffant (c’est-à-dire en ôtant leur petite touche chevelue).Vous devez obtenir des tronçons d’environ 14 cm vu la longueur du moule utilisé ici. Sinon adaptez-vous comme tout bon cuisinier des chaumières. Pochez les poireaux à l’eau bouillante pendant environ 15 à 20 mn (suivant la taille de la bestiole) jusqu’à ce qu’ils soient tendres. Égouttez et laissez complètement refroidir.

Sus au tubercule brésilien ! Pelez les topinambours et plongez-les au fur et à mesure dans de l’eau additionnée de jus de citron pour éviter la funeste oxydation. Faites cuire à la vapeur pendant 15 minutes. Laissez complètement refroidir puis coupez les tubercules en deux

Sauçons : fouettez le jus et les zeste de bergamote avec les deux huiles et le thym. Salez, poivrez à votre convenance et réservez au frais.

C’est le moment d’assembler : déposez délicatement une couche de poireaux, passez un peu de vinaigrette au pinceau, disposez ensuite une couche de topinambour, passez de nouveau de la vinaigrette au pinceau et ainsi de suite en finissant par une couche de poireaux. Pour mon moule Le Creuset (28 cm, 1,1 l de contenance), j’ai eu la place pour une couche de poireaux, une couche de topis et une dernière couche de poireaux. Refermez avec le papier film, puis déposez la presse du moule à terrine, couvrez puis oubliez au réfrigérateur pendant 12h. Si vous utilisez un moule à cake déposez des boites de conserves pour bien presser lourdement les légumes.

Le lendemain découpez délicatement en tranches , arrosez avec le reste de vinaigrette et servez avec de la claytone de cuba (pourpier d’hiver) par exemple, pour une petite entrée d’hiver tout en simplicité.

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Commentaires

  1. […] propose de linguistique, souvenez-vous : j’avais déjà évoqué dans cette recette l’origine du nom topinambour : et là encore, nous retrouvons une histoire de fourvoiement […]

  2. […] devant de la scène : tarte aux oignons nouveaux, ou ces poireaux tout en cheveux, ou encore cette terrine réusissant l’exploit de rajouter au commun poireau le  mal-aimé topinambour. Mais j’avoue […]

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