Jeunes carottes rôties au citron confit, zhoug/sahawiq yéménite aux fanes

Jeunes carottes rôties au citron confit, zhoug/sahawiq yéménite aux fanes
Hind
par

« Céline ;

Je vous envoie vifs compliments et remerciements pour le merveilleux bœuf-mode. Je voudrais bien réussir aussi bien que vous ce que je vais faire cette nuit, que mon style soit aussi brillant, aussi clair, aussi solide que votre gelée _ que mes idées soient aussi savoureuses que vos carottes et aussi nourrissantes et fraîches que votre viande. En attendant d’avoir terminé mon œuvre, je vous félicite de la vôtre. »

Mais qui s’exprime donc avec cette gracieuse humilité et cette admiration sans borne pour un plat de terroir bien connu, alias le bœuf Mode? Marcel Proust, pardi, lui-même ! Oui l’immense écrivain, grand gourmet devant l’éternel  par ailleurs (comme nous l’avons vu dans cette recette d’asperge) se lance dans une lettre passionnée à sa cuisinière, Céline Cottin ,suite à une dégustation mémorable de bœuf à la mode.

Oui il y a des jours où le cuisinier des chaumières aimerait recevoir des lettres de Marcel, en lieu et place d’onomatopées ou de grommellements pseudo-syllabiques accueillant ses repas domestiques.

En ces temps de mémoires partielles et » instagrammiques », rappelons que le bœuf mode(i.e à la mode de la maison) est  une estouffade de bœuf aux carottes, vin blanc et herbes aromatiques datant de 1651 et inventée par le grand cuisiner François Pierre de la Varenne, un pionnier de la gastronomie française telle qu’on l’entend aujourd’hui.

La carotte y est ici le symbole d’une grande cuisine bourgeoise, copieuse et bien en sauce dans la grande tradition de ce début du XXème siècle en France. Notons que cette recette a certainement inspirée l’expression « bœufs-carottes », désignant l’inspection générale de la police qui a donc pour mission de traquer les carotteurs dans ses rangs et de faire mijoter dans leur jus les suspects potentiels!

Toutes choses étant égales par ailleurs,cette connotation de fausseté et de fraude associée au verbe carotter semble être née aux alentours du XVIIème siècle où notre racine joufflue (ou pas) avait une réputation peu glorieuse. Songez donc : « ne manger que des carottes » signifiait faire mauvaise chère, « un mangeur de carottes » était un quidam naïf et crédule, « tourner carotte » revenait à retourner sa veste tandis qu’ »avoir une carotte dans le plomb » désignait le fait de chanter faux !  L’ingrat palmarès que voilà pour une apiacée si délicate.

Nous voici donc de nouveau à l’ombre des ombellifères , une famille nombreuse qui se dénomme désormais apiacée (de Apium alias céleri, le maitre de cette famille végétale) et qui compte pas moins de 1600 membres : céleri donc, fenouil, panais (longtemps confondu avec sa consœur carotte), persil-racine, persil feuille, cerfeuil, fenouil, coriandre, carvi, cumin, livèche,aneth, anis vert, angélique ….

Est-ce parce qu’ils se partagent ce voisinage botanique que les carottes s’allient si bien avec la coriandre et le cumin ? Renonçant à trancher cette question épineuse, je me suis esquivée en cuisine  en osant un mariage maroco-yéménite pour mon bouquet de jeunes carottes feuillues. J’avais résolu d’utiliser la bestiole entière et il me tardait depuis longtemps de tenter ma version d’un condiment yéménite : le zhoug (hébreu)ou sahawiq (en arabe), une petite sauce très pimentée et très herbacée issue de la tradition culinaire yéménite et rendue populaire par l’émigration juive de ce pays vers Israël.

J’ai donc détourné ce condiment pour pouvoir utiliser mes fanes et réduit le nombre de piments pour une version plus modérée : à vous d’ajuster selon votre résistance à l’échelle de Scoville !

Les légumes et la sauce sont  un accompagnement parfait pour les grillades estivales mais se dégustent tout aussi bien avec un bol de légumineuses (lentilles par exemples) ou de céréales (petit épeautre, orge, millet)

Pour 4 à 6 personnes :

Pour les carottes rôties :

  • Un bouquet de jeunes carottes avec fanes (une quinzaine)
  • 1 citron confit
  • 1 petite gousse d’ail
  • Le jus d’un petit citron
  • 1 c à s de cumin en grain (à défaut déjà moulu)
  • 1 c à s de coriandre en grain (à défaut déjà moulu)
  • Un petit bouquet de coriandre fraiche
  • Sel
  • 2 c à s d’huile d’olive

Sahawiq/Zhoug aux fanes :

  • 50g de fanes de carottes
  • 50g de persil plat
  • 50g de coriandre fraiche
  • 3 petits piments verts épépinés ( ici piment thai,mais à vous de diminuer ou d’augmenter selon votre gout pour la chose pimentée! le sahawiq/zhoug  étant plutôt caliente à la base)
  • 2 gousses d’ail
  • ¼ cc de sel
  • 1 c à s de coriandre en grains
  • 1 c à s de graines de cumin
  • 1 cc de graines de carvi
  • 1 cc de graines de nigelle (facultatif)
  • 4 clous de girofle
  • 6 graines de poivre ou de cubèbe.
  • 5 c à s d’huile d’olive
  • Le jus d’un citron
  • 3  c à s d’eau.

Carottes rôties :

Préchauffez le four à 180°C

Débarrassez les carottes de leur fanes avant de les peler (ou pas, en circuit biologique ce n’est pas forcément nécessaire mais plus une question de gout. Réservez les fanes pour le condiment.

Hachez menu le citron confit et l’ail (séparément), effeuillez la coriandre. Réservez.

carotteszhug6Si vous avez choisi l’option épices en graines,torréfiez dans une poêle à sec les graines de coriandre et de cumin avant de moudre finement (au mortier ou au moulin à café).

Badigeonnez les carottes d’huile d’olive, assaisonnez généreusement avec le cumin et la coriandre, salez légèrement (à cause du citron confit plus tard). Enfournez pour 25 minutes

Ajoutez la gousse d’ail râpée et continuez la cuisson pendant 5 minutes.

Sortez du four, arrosez immédiatement avec un peu de jus de citron et saupoudrez de citron confit et de feuilles de coriandre fraîche. Servez chaud, tiède ou froid avec le zhough.

Sahawiq/Zhough :

Torréfiez à sec pendant 5 minutes environ les graines de cumin, coriandre, carvi , nigelle et poivre dans une petite poêle. Pilez au mortier ou mixez finement au moulin à café.

Hachez grossièrement les herbes puis mélangez avec le reste des ingrédients en mixant plus ou moins finement selon la texture désirée (ici j’ai préféré une texture semi lisse avec encore de la mâche d’herbes mais votre palais est votre mesure !). Réservez au frais jusqu’au moment de servir.carotteszhug1

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