Canard aux oranges sanguines

Canard aux oranges sanguines
Hind
par

J’avais quitté le pays des orangers pour le pays des pommiers.

Mais l’orange restée gravée en moi, comme une cicatrice ancienne et secrète.

Il y avait le lyrisme  d’Eluard et cette étrange  terre bleue comme une orange, métaphore singulière grâce à laquelle j’ai rencontré la licence poétique

Il y avait aussi les aventures tragi-comiques de Zézé , le petit garçon brésilien de « Mon bel oranger »  avec qui j’avais ri et pleuré sans retenue. Un récit de la misère au quotidien qui m’avait presque fait oublier les malheurs de Cosette, dévoré à la même époque. Et jusque-là rien n’avait surpassé mes pleurs lors de la lecture des misérables d’Hugo.(Même pas la découverte dramatique du caractère fini de la série des Astérix)

Il y avait les orangers amers des rues du vieux Rabat, ployant sous les fruits et saturant l’air d’un parfum de bigarade entêtant.

Il y avait les fleurs d’orangers qui flottaient languides dans les théières des après-midi paresseuses. Et puis l’eau de fleur d’oranger, partout, tout le temps : elle s’immisçait dans les aspersoirs d’argents, dans les gâteaux de fêtes, dans les savons du hammam.

Et puis aussi  cette énigme linguistique de la langue arabe : j’ai mis longtemps à comprendre  pourquoi l’orange amère se disait « naranj » en arabe_ l’ancêtre étymologique du terme orange dans plusieurs langues_ tandis que l’orange tout court se nommait Bortoqal, terme proche du pays presque éponyme, le Portugal. L’explication était simple : l’orange, originaire de chine, a connu deux destins de propagation dans le reste du monde. C’est d’abord le bigaradier, l’orange amère, qui gambade hors d’Asie : transmise par les perses aux arabes , ces derniers  sèment la bigarade partout en méditerranée au rythme de leur conquêtes vers le XIème siècle.Le fruit porte alors le nom de naranj, vocable  issu du sanskrit. Il devient aurantium en latin, naranja en espagnol, arancia en italien et orange en Français.

Mais ce sont les portugais qui vers 1520 se chargeront de disséminer gaiement l’orange douce, rapportée de leurs expéditions dans l’ile de Ceylan. Grace à un travail de sélection féroce, l’orange portugaise se taille une renommée  remarquable dans toute l’Europe, éclipsant peu à peu le bigaradier. D’où le terme « bortoqal » encore usité dans la langue arabe pour désigner cette variante lusitanienne.

J’avais quitté le pays des orangers mais l’orange était dans mon cœur et accessoirement dans la cocotte aujourd’hui pour un canard à l’orange à ma façon. Sur une base de sauce dite bigarade assez classique, voici donc ma version simplifiée qui utilise des cuisses de canard et des oranges sanguines. Le plus dur est de ne pas laper la sauce à même la cocotte : ce mariage traditionnel a fait ses preuves !

La sauce se fait en deux temps: il faut d’abord préparer le caramel à l’orange et le jus de canard séparément avant de mélanger les deux et de laisser réduire tranquillement jusqu’à une consistance légèrement sirupeuse.

Mon blog n’utilisant que des fruits et légumes biologiques, je ne rappelle pas les précautions d’usage concernant les zestes d’agrumes.

A vos cocottes ! Non sans nous quitter sur un extrait du délicieux poème iconocolaste de Françis Ponge (que je vous invite à lire en entier) :

« Comme dans l’éponge il y a dans l’orange une aspiration à reprendre contenance après avoir subi l’épreuve de l’expression. Mais où l’éponge réussit toujours, l’orange jamais : car ses cellules ont éclaté, ses tissus se sont déchirés. Tandis que l’écorce seule se rétablit mollement dans sa forme grâce à son élasticité, un liquide d’ambre s’est répandu, accompagné de rafraîchissement, de parfums suaves, certes, — mais souvent aussi de la conscience amère d’une expulsion prématurée de pépins. « 

Francis Ponge_Le parti pris des choses(1942).

Pour 2 personnes :

  • 2 cuisses de canard
  • 1 orange sanguine
  • 1 oignon blanc
  • 1 petite carotte
  • 2 tiges de céleri vert avec feuille
  • 2 gousses d’ail
  • Quelques branches de thym frais
  • 2 feuilles de laurier sec
  • 1 c à s de farine
  • 200ml  d’eau ou de vin blanc (pour déglacer)
  • 1 c à s de miel
  • 2 étoiles de badiane (anis étoilé)
  • 1 c à s d’huile d’olive
  • Sel,poivre

Garniture :

  • 4 oranges sanguines

Sauce à l’orange(sauce bigarade)

  • 120g de sucre blond de canne
  • Le jus de 5 oranges sanguines (environ 250ml)
  • 50ml de vinaigre de vin blanc

Préchauffez le four à 170°C

Commençons par la garniture aromatique : coupez en brunoise le céleri vert , l’oignon et la carotte pelée. Ecrasez l’ail avec un couteau sans le peler.Coupez l’orange en quartiers sans la peler(oui c’est un mantra!)

Enlevez le gras excédentaire si besoin en bas des cuisses de canard puis chauffez 1 c à s d’huile d’olive dans une cocotte. Salez les cuisses ; piquez la peau légèrement avec un cure-dent puis dorez les cuisses côté peau pendant 6 à 7 minutes. Retournez les cuisses et dorez côté chair pendant 3-4 minutes . Ôtez les cuisses de canard, jetez le gras (ou gardez le pour des patates rissolées mais pas pour la suite de la recette).

Larguez le céleri, l’oignon et la carotte ainsi que l’ail dans la cocotte. Ajoutez le thym, le laurier, l’anis étoilé et l’orange coupée en quatre .Salez puis faites suer pendant 5 mn en remuant. Mouillez avec un petit fond d’eau (50-70ml pas plus)et grattez les sucs.

Déposez les cuisses de canard sur la garniture puis enfournez pendant 50 mn

Pendant ce temps sus à la sauce bigarade : dans un petit poêlon épais faites caraméliser le sucre à sec et à feu moyen en surveillant sans remuer et sans toucher(cela prend une dizaine de minutes environ). Dès que caramel commence à se former(coloration brun clair légèrement plus foncée que le sucre blanc), versez hors du feu (et doucement pour éviter les projections) le jus des oranges fraîchement pressées et le vinaigre. Remettez sur le feu et laissez réduire de moitié à feu moyen en touillant de temps à autre. Pas de panique si le sucre cristallise au contact de l’acide : il va refondre à nouveau lors de la réduction.

Préparons la garniture à l’avance : prélevez à l’économe puis émincez le zeste de deux oranges, coupez ensuite les oranges à vif avant de prélever des segments ou de les couper en rondelles comme ici. Réservez.

Retour au four : ôtez le couvercle de la cocotte, arrosez les cuisses de canard avec le jus et laissez rôtir à découvert pendant un quart d’heure, le temps que les cuisses soient joliment dorées. Retirez la cocotte du four, puis réservez les cuisses au chaud (dans le four éteint par exemple)

Finissons la sauce en beauté : déposez la cocotte sur la taque de cuisson à feu moyen, saupoudrez de farine et remuez avec une spatule pendant 5 mn. Déglacez avec les 200ml de vin blanc (ou simplement de l’eau). Baissez le feu et touillez pendant cinq  minutes. Filtrez la sauce au chinois avant de la remettre dans la cocotte : ajoutez le miel puis la sauce bigarade réduite de moitié. Laissez réduire pendant un petit quart d’heure : la sauce sera légèrement sirupeuse.

Au moment de servir ajoutez les zestes dans la sauce ainsi que les tranches d’oranges : réchauffez délicatement le tout à feu très doux.

Servir les cuisses arrosées généreusement de sauce et accompagnées de tranches d’oranges. Accompagnez le tout avec un pilaf de riz ou de céréales ou encore de pommes de terre sautées.

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