Pain d’épices à la rhubarbe
par Hind
« Le pain d’épices peut servir utilement en chirurgie ; il tient lieu de cataplasme maturatif dans la formation des abcès qui surviennent dans la bouche, à la racine des dents et aux gencives entre les mâchoires et les joues. On coupe une tranche de pain d’épices, de l’épaisseur d’un écu de six livres et de la grandeur convenable : on la trempe dans du lait chaud et on l’applique sur les tumeurs inflammatoires disposées à suppuration. Ce topique n’a aucun désagrément ; il tient sans aucun moyen sur le lieu malade et il remplit parfaitement les intentions de l’art en favorisant celles de la nature. »
Diderot , Encyclopédie.
Et nous qui pensions naïvement que le pain d’épices ne servait qu’à enchanter les goûters d’enfants, sages ou pas et même soyons fous celui des non-enfants! Car oui, aucune règle ne décrète qu’il faudrait cesser de prendre des goûters une fois adulte ( ni à cesser de lire des mangas ou de se ronger les ongles mais ceci est une autre histoire).
L’histoire du pain d ‘épices se confond avec celles des civilisations comme souvent en territoire culinaire. Les égyptiens de l’époque pharaonique ; très portés sur la chose gastronomique comme vous le savez si vous suivez régulièrement ce blog, se régalaient déjà de pains au miel entre deux galettes de souchet( rhizome de roseau au goût de noisette) arrosées de bière maison.
Chez les grec anciens, Aristophane , le poète comique du Vème siècle, nous parle d’une certaine ‘mellitoutta’ , destinée aussi à calmer Cerbère, le nerveux gardien des enfers: il s’agit d’une galette de farine de sésame enrichie de fromage et d’œufs puis enduite de miel après cuisson. Dans le même esprit, les romains eux fréquentent le pain mellitus , un pain frit et enrobé de miel : Marcellus Empiricus, medecin de l’empereur theodose, le mentionne dans ses remèdes, tandis que Caelius Apicus livre la recette : « Broyez des noix ou des pignons de pin, des dattes avec de l’épeautre cuit à l’eau. Travaillez cette bouillie avec du poivre moulu et du miel. Façonnez-les en boulettes dont vous salerez légèrement la surface. Faites frire à l’huile et arrosez de miel écumé ». Inutile de rechercher plus de précision : en ce temps-là ,l’adage « ton œil est ta mesure » était le seul qui vaille.
C’est un peu plus tard au Xème siècle, en Chine que naît un pain d’épice proche de celui que nous connaissons aujourd’hui :le mi-kong. Cette fois-ci il n’est plus question de miel post-cuisson : la pâte est à base de farine et de miel, parfumée aux plantes aromatiques avant d’être cuite au four. Cette préparation énergétique se verra alors trôner dans les provisions des redoutables cavaliers de Gengis khan, qui le transmettent par la suite aux arabes.
C’est lors des croisades que les européens rapportent l’exotique préparation de leurs expéditions orientales. Le pain d’épices commence alors sa carrière en occident.
Ainsi les allemands raffolent au XIIIème siecle du « Lebkuchen » tandis qu’ à Dijon au XIVème siècle Marguerite de Flandres , gourmande épouse de Philippe le hardi,duc de Bourgogne ; se délecte de « boichet », un ancêtre du pain d ‘épices actuel . Le pain d’épices essaime alors en Europe et se retrouve notamment dans les tablées de Noël.
La ville de Reims se distingue alors dès le XVIIIème siècle par son savoir-faire en pain d’épices à tel point que les rémois sont surnommées « mangeurs de pain d’épice » ! Une rivalité centenaire oppose d’ailleurs Dijon et Reims en la matière : la distinction s’opère par la nature de la farine. Le pain d’épices de Dijon utilise de la farine de blé tandis que son copain Rémois se compose de farine de seigle.
Mais loin de nous l’idée de réveiller des querelles antiques. Surtout que mon pain d’épices d’aujourd’hui fait une sérieuse entorse à la tradition en employant de la mélasse et de la rhubarbe entre autres joyeux ingrédients. Il se rapproche alors du gingerbread britannique :que les Rémois et les Dijonnais me pardonnent ce sacrilège !
Ce gâteau étonnant est né d’une volonté soudaine de faire un sort à deux tiges de rhubarbe esseulées tout en se concoctant un gâteau voyageur, prêt à être transporté et surtout partagé. Le résultat est moelleux, épicé, d’une belle couleur sombre avec une pointe d’acidité agréable amenée par la rhubarbe fondante. De la joie des plaisirs simples.
Et pour calmer tous les rigoristes je vous laisse avec ce poème de Clément Marot qui nous donne quelques leçons de séduction
« L’été lui donnais des raisins
Des pommes, des prunes et des poires
Des pois verts, des cerises noires
Du pain béni, du pain d’épices
Des échaudés de la réglisse
Du bon sucre et de la dragée
Et quand elle fut plus âgée
Je lui donnai de beaux bouquets »
Clément Marot, dialogue nouveau, fort joyeux, 1541
Pour un moule à cake de 30*11*8 cm:
- 90g de sucre muscovado
- 100g de beurre
- 170g de mélasse brune (‘black treacle,en vente en magasin bio ou dans les épiceries de produits britanniques)
- 50g de miel
- 250 g de farine à pâtisserie
- 1 cc de bicarbonate de soude
- 50g de gingembre confit coupé en brunoise
- 1 cc de gingembre en poudre
- ¼ cc de cannelle
- 1 pincée de noix de muscade
- 2 clous de girofle écrasés et réduits en poudre
- 200g de tiges de rhubarbe émincées finement (grosso modo 2 belles tiges de rhubarbe)
- 2 œufs battus
- 4 c à s de lait
Préchauffez le four à 170°C
Chemisez le moule à cake de papier sulfurisé
Dans un petit poêlon, faites fondre le sucre, le miel, la mélasse et le beurre à feu très doux en remuant de temps à autre. Retirez du feu et laisser tiédir.
Dans un cul de poule tamisez la farine avec le bicarbonate, ajoutez ensuite toutes les épices ainsi que le gingembre confit.
Fouettez ensuite vigoureusement le tout avec le mélange sucre-miel-mélasse-beurre.
Ajoutez les œufs et le lait et continuez à battre.
Incorporez enfin soigneusement les morceaux de rhubarbe
Versez votre œuvre dans le moule et faites cuire en deux temps, au centre du four : d’abord 30 mn à découvert et à 170°C, puis recouvrez ensuite le pain d’épices de papier aluminium, baissez la température à 150°C et poursuivez la cuisson 30 mn supplémentaires.
Laissez tiédir dans le moule avant de démouler et de couper en belles tranches : je préfère pour ma part le déguster bien frais.
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