Gozleme au sarrasin farcis aux légumes
par Hind
« Je jalouse la brise du sud
Car elle caresse ton front, mon amour
Et j’envie le soleil quand il se lève
Et j’envie le soleil quand il se couche
Et je désirerais être cet oiseau qui chante
Au sommet de sa branche humide
Parce que tu pourrais y voir une beauté
Qui ravirait tes yeux, mon amour »
Extrait de « je jalouse la brise du Sud, oum kalsoum, 1957 , un poème d’Ahmed Rami»
Pendant Cinquante ans , Ahmed Rami, l’un des plus grands poètes égyptiens contemporains, fut éperdument amoureux d’Oum Kalsoum .
Pendant cinquante ans « l’astre de l’orient » ne paiera jamais son amour en retour.
Sur les 238 chansons d’Oum Kalsoum, 137 auront pourtant été écrites par Rami, qui fut l’un des ses pygmalions , transformant la petite paysanne qui se déguisait en garçon pour chanter , en jeune femme raffinée qui s’habillait désormais en crêpe de chine et s’exprimait en français, dans ce Caire d’avant-guerre multiculturel , foisonnant d’opéras, de chants, de danses, de cabarets, époque désormais révolue…
En 1924, Ahmed Rami était parti étudier à la sorbonne où il obtint sa licence de persan de l’institut des langues orientales, par amour pour Omar Khayam et ses poèmes sulfureux du 13ème siècle qu’il s’empressera d’ailleurs de traduire et de faire chanter à sa dulcinée plus tard. De son passage à Paris, Rami gardera une élégance intemporelle: costumes trois-pièces, fleur à la boutonnière, chapeaux , bérets et tarbouches en feront un dandy jusqu’à la fin de sa vie.
A Paris un ami l’informe qu’une chanteuse habillée en homme est désormais le nouveau phénomène au Caire et qu’elle chanterait même l’un de ses poèmes. Intrigué , Rami s’empresse de venir écouter cette mystérieuse interprète. Sa vie sera à jamais bouleversée par sa rencontre avec celle que la Callas surnommait » la voix incomparable ».
Cet amour inconditionnel et platonique durera jusqu’à la mort d’Oum Kalsoum en 1975, dans une spirale à la fois cruelle et virtuose : Rami couche sur le papier en vers languissants et magnifiques, la peine de l’amoureux transi, la douleur du rejet, les plaintes de l’amant éconduit, l’amour qui transfigure la banalité du quotidien : Oum kalsoum chante tout sans jamais lui céder.
La larme à l’œil je dévorais cette histoire d’amours impossibles et des gozlemes aux légumes, vautrée sur des coussins, un verre de thé à la menthe non loin de là. Que voulez-vous les amours contrariées,moi cela me donne faim.
Surtout quand elles sont joliment racontées dans le très bel ouvrage de Lamia Ziadé « O nuit , O mes yeux » , un bouquin qui parle d’un monde quasiment disparu, qui redonne la voix à des artistes féminines fortes telles que Asmahan, Oum Kalsoum , Fayrouz , Tahya Karioka. Beyrouth, le Caire, Damas, Jerusalem, des éspions , des émirs, des poètes, des cinéastes, des danseuses du ventre, des pachas, des opéras , des ovations, des palaces, des scandales, des femmes incroyablement libres, des hommes fous d’amour : Lamia Ziade nous transporte dans la vie artistique chantante du moyen orient de la première moitié du 20ème siècle, dans une chanson de geste tragique et virevoltante. Destins romanesques, vies hors du commun, Nahda (renaissance) arabe avortée : entre deux airs d’Oud, et des images fascinantes du cinéma égyptien des années 40, une bouffée de nostalgie m’a saisie à la lecture de ce livre.
Et donc j’ai accompagné ce livre (comment ça on accompagne des livres de nourriture ?)de Gozleme, petites galettes turques réconfortantes à mi-chemin entre les rghaifs marocains (galettes feuilletées au beurre et huile d’olives farcies ou pas) et les naans indiens vu que la pâte comporte du yaourt. J’ai choisi de rajouter de la farine de sarrasin car j’aime bien sortir de l’ennui périodique de la farine blanche seule. Et puis surtout il faut vider son placard à farines.
J’ai préparé deux types de farce : une à la patate douce et aux olives, l’autre aux poireaux et au manouri, un fromage proche de la fêta dont j’apprécie la plus faible teneur en sel. Mais vous pouvez laisser libre court à votre imagination, avec des légumes de saison. La farce traditionnelle se compose d’épinards et de fêta mais ce n’est pas la saison des épinards, une motivation de plus pour la créativité légumiste!
Les gozleme se cuisent à la poêle et se congèlent très bien : après décongélation réchauffez-les à la poêle ou au four pendant quelques minutes.
Je vous laisse avec ce témoignage émouvant de Rami qui en 1979, 4 ans après la mort d’Oum Kalsoum évoque sa première rencontre avec la diva.
Pour environ une dizaine de gozleme de taille moyenne
Pâte de gozleme au sarrasin :
- 300g de farine blanche de froment T65
- 100g de farine à pâtisserie T45
- 100g de farine à sarrasin
- 225g d’eau tiède
- 10g de levure de boulanger sèche.
- 30ml d’huile d’olive
- 1cc ce sucre
- 7g de sel
- 125g de yaourt entier
- +huile d’olive pour la cuisson et pour le pétrissage
Farce aux poireaux et manouri :
- 1 poireau
- 200g de manouri(ou de feta à défaut)
- 2 cc de zaatar (ou à défaut de thym séché mélangé avec un peu de sésame grillé)
- Sel, poivre, huile d’olive
Farce à la patate douce et aux olives rouges
- 2 petites patates douces (environ 300g)
- 3 c à soupe d’olives rouges dénoyautées et hachées grossièrement
- 4 c à s de persil haché
- 1 petit oignon haché
- 2 gousses d’ail râpées
- ½ cc de gingembre frais râpé
- 1 cc de cumin en poudre
- 1 cc de piment en poudre ou de pili-pili (ou moins selon le degré de calienté que vous désirez)
- Sel, poivre, huile d’olive.
Gozlemons ! Mélangez la levure avec le sucre, l’eau tiède et le yaourt. Laissez le tout fermenter pendant 10 mn le temps que des bulles se forment. Dans un grand saladier mélangez les farines, le sel et l’huile d’olive. Versez le mélange à la levure, mélangez tout ce petit monde intimement puis choisissez votre méthode : robot avec accessoire pétrisseur ou à la main.
Au robot : pétrissez la pâte pendant quinze minutes à petite vitesse avant de la jeter sur un plan de travail fariné. Enduisez vos mains d’huile ‘olive et continuez à pétrir à la main pendant 10 à 15 mn de minutes environ jusqu’à ce que la pâte deviennent souple et non collante. Rajoutez un peu d’eau le cas échéant si la pâte est trop compacte.Formez une boule que vous placerez dans un saladier légèrement huilé. Couvrez et oubliez cette histoire pendant 2h environ où jusqu’ ce la pâte ait doublé de volume (ce qui dépend largement de vos conditions de température et de pression)
A la main : le procédé est le même sauf au début où vous devrez pétrir pendant 20 à 25 mn_ selon l’efficacité de vos paluches _la pâte à gozlemes avant de vous empresser d’enduire vos mains d’huile d’olive pour la suite des opérations.
Pendant ce temps, dans une tentative lâchement Taylorienne d’optimiser sa journée ; occupez-vous des farces.
Farce aux poireaux : émincez finement le poireau, vert et blancs compris, salez légèrement puis étuvez pendant une dizaine de minute avec une lichette d’huile d’olive dans une cocotte fermée ou une casserole à couvercle. Laissez refroidir complétement avant d’ajouter le manouri émietté et le zaatar
Farce à la patate douce : pelez les patates, coupez-les en dés avant de les cuire à l’eau salée pendant 25 à 30 mn environ. Egouttez et écrasez à la fourchette ou avec un presse-purée. Dans une petite casserole, dorez le gingembre l’ail, l’oignon dans 2 c à s d’huile d’olive. Ajoutez les patates, les épices puis laissez tout ce petit monde réduire à découvert pendant une dizaine de minutes. Hors du feu ajouter le persil et les olives. Rectifiez l’assaisonnement en sel si nécessaire (Attention les olives le sont en général suffisamment). Laissez refroidir complètement avant utilisation.
Passons à l’atelier maçonnage : Dégaze délicatement la pâte sur un plan de travail fariné. Formez un rouleau que vous découperez au coupe-pâte (ou un grand couteau très aiguisé) en une dizaine de morceaux d’environ 100g chacun. Formez des petites boules avec les morceaux ainsi formés .
Farcissons ! Étalez chaque petit pâton en disque de 24 cm environ. Disposez 2 à 3 c à s de farce de votre choix au milieu du disque. Refermez les bords nord puis sud sur la pâte , ensuite les bords est et ouest . Passez légèrement de nouveau au rouleau pour étaler le carré obtenu.
Passons à la cuisson : faites chauffer une grande poêle à feu moyennement fort( thermostat 6 sur induction chez moi), passez un peu d’huile d’olive au pinceau sur les deux surfaces de chaque gozleme. Faites cuire à la poêle environ 3 à 4 mn de chaque côté en pressant pendant la cuisson avec une spatule. Recommencez jusqu’à épuisement des galettes ou du cuisinier.
Dévorez chaud avec un thé bien mérité après tant d’effort .
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