Curry Massaman de poulet à la patate douce et aux navets, kochumbir de carottes

Curry Massaman de poulet à la patate douce et aux navets, kochumbir de carottes
Hind
par

On peut être subjugué par la vénusté feutrée d’un nocturne de chopin, ou la richesse veloutée de la voix de Sarah Vaughan.

On peut aussi se laisser ensorceler par le timbre irréel et nostalgique de Asmahane et se perdre dans ses yeux d’eau.

On peut évidemment s’émerveiller de l’insolente élégance des vers de  Paul Eluard :

« La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu
C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu. »

On peut également se laisser fasciner comme au premier jour par  la splendeur orageuse des Misérables de Hugo. Et pleurer encore, comme une madeleine trop cuite, en relisant les malheurs de Cosette. Mais si , les madeleines trop cuites pleurent la nuit , une fois le monde endormi.

On peut bien entendu être envouté par la magnificence hantée des murs et jardins de l’Alhambra, et garder longtemps après les réminiscences de ses patios enchanteurs.

Et on peut enfin être ébloui par une patate douce.

Parfaitement. L’insoutenable beauté d’une patate douce.

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Oui cher lecteur, potentiellement amical, ce matin-là, j’étais émue en coupant une patate douce qui ronchonnait depuis quelques semaines dans le panier à courges. Et cette chair d’un orange tonitruant m’avait littéralement subjuguée.

Toutes choses étant égales par ailleurs, je revenais, toute ébaubie, d’un voyage dans le congélateur où j’avais eu le bonheur de trouver un pot de curry Massaman maison , amoureusement préparé puis oublié. Le sort de la patate douce était scellé. Quelques navets et blancs de poulet plus tard, mon curry improvisé était prêt.

Le curry Massamman, moins célèbre que ses cousins rouges et verts particuliers de la cuisine thaï, a une histoire bien singulière. Il serait né  au royaume du Siam au début du XVIIème siècle lors des premiers voyages des marchands perses et arabes vers les contrées d’Asie du sud-est. L’étymologie viendrait donc de la déformation du terme « musulman ».

L’influence arabo-perse aurait culminé à Ayutthaya (l’ancienne capitale de la Thaïlande) sous le règne du roi Phra Narai (1656-1688). Après les usuels assassinats, intrigues et complots propres à toute quête du pouvoir, Phra Narai accède au trône aidé notamment par des forces persanes et japonaises.

Durant son règne, la diplomatie et le commerce prospèrent et plusieurs communautés étrangères s’établissent au royaume de Siam. C’est ainsi que plusieurs marchands  arabes, perses et indo-malais s’installentsur ces côtes accueillantes, créant force comptoirs et échoppes et favorisant par la même occasion les mariages culinaires.

On retrouve ainsi dans la pâte de curry Massaman des épices familières des cuisines arabes , indiennes et  persanes : cumin, noix de muscade, macis, graines de coriandres, cannelle,cardamome, clou de girofle mélangées à des arômes typiques de la cuisine thaï : galanga, gingembre, citronnelle , pâte de crevette et piments (introduits sur le sous-continent par les portugais quelques années plus tôt).

Traditionnellement ce curry est à base de bœuf ou de poulet avec des amandes ou des pommes de terre : certaines archives mentionnent également l’usage d’oranges amères. Passionnants voyages culinaires ! Je l’ai pour ma part adapté au contenu de mes vagabondages légumistes afin de faire avaler des navets aux plus récalcitrants de mon entourage et de révéler la chair sucrée de la patate douce par un contraste « currivore » bienvenu.

Quelles que soient les épices employées la règle de base de la pâte de curry Massaman est que quasi tous les ingrédients sont rôtis ou grillés avant d’être impitoyablement pilés, ce qui donne à ce curry un très agréable goût fumé. Il n’est pas non plus très piquant contrairement à ses cousins verts et rouges mais rien ne vous interdit de rajouter des piment si le cœur vous en dit. En Thaïlande, on utilise de la cardamome blanche que je n’ai jamais eu l’occasion de trouver en Belgique : elle est donc remplacée par de la cardamome verte ici.

Dans ma version je remplace la pâte de crevette, pas toujours facile à trouver ,par des anchois en conserve et j’utilise des piments frais plutôt que séchés pour leur parfum fruité.

Je l’ai accompagné de kochumbir de carottes, une salsa indienne découverte dans l’indispensable livre de cuisine indienne de Camelia Panjabi « Les meilleurs curry indiens » et  de riz blanc (thaï ou basmati feront bonne figure dans cette histoire). Mais oui on mêle Thaïlande et Inde sans vergogne sur ces pages !

Comme beaucoup de currys, ce plat se congèle parfaitement et s’améliore même en étant réchauffé. Par ailleurs le reste de pâte de curry peut également être stocké au congélateur(jusqu’à un an de conservation) : n’hésitez pas à doubler les quantités !

A vos mortiers ! (ou mixers, en cas de flemmardise avouée)

Pour 4 à 6 personnes:

Pâte de curry Massaman:

  •  6 petits piments frais (5 cm environ) sinon séchés c’est très bien aussi
  • 1 tête d’ail entière
  • 3 échalotes
  • 2 tiges de citronnelle
  • 1 morceau de gingembre ou de galanga pelé(environ 2,5 cm)
  • 1 morceau de curcuma frais ‘2 cm environ) ou 1 c à c de curcuma en poudre
  • 3 filets d’anchois en conserve
  • 4 cardamomes vertes
  • 1 c à s de graines de coriandre
  • ½ cc de graines de poivre
  • 1 cc de graines de cumin
  • 1 bâton de cannelle
  • 1 petit morceau de macis (facultatif)
  • 2 clous de girofle
  • 1 pincée de noix de muscade fraichement râpée
  • 1/4 cc de sel
  • 1 c à s de nam pla (sauce de poissons fermentée/fish sauce)
  • 4 à 5 c à s d’eau.

Curry de poulet aux navets et à la patate douce

  • 600g de blancs de poulet coupés en dés
  • 2 patates douces moyennes pelées et coupées en gros dés
  • 6 petits navets (boule d’or ici) pelées et gardés entiers
  • 1 oignon émincé
  • 1 feuille de laurier sec
  • 2 tiges de citronnelle
  • 2 gousses de cardamome verte, légèrement écrasées
  • 1 bâton de cannelle
  • 5 c à s de curry massaman
  • 400ml de lait de coco de bonne qualité (je l’ai déjà dit sur ces pages, celui d’Oxfam est pour moi le meilleur)
  • 3 c à s de nam pla (sauce de poisson/fish sauce)
  • 2 citrons ou 2 limes coupés en 4
  • 3 c à s de sucre brun ou de sucre muscovado
  • 2 c à s d’huile de tournesol
  • 30g de cacahuètes ou de noix de cajou ou de noisettes, torréfiées pendant 7-8 minutes à feu moyen et à sec ( à la poêle)
  • 1 gros bouquet de coriandre fraiche, hachée grossièrement
  • 1 cc d’arrow root ou de fécule de mais éventuellement (pour épaissir la sauce)

Kochumbir de carottes :

  • 3 carottes (mauves ici)
  • 30g de noix de coco séchée (en inde on utilise bien évidemment de la fraiche mais utilisons nos placards !)
  • 4 c à s de coriandre hachée
  • 25 -30 g de cacahouètes ou de noix de cajou
  • 1 c à s de sucre brun
  • 2 c à s de jus de lime ou de citron
  • 2 c à s d’huile de noix ou de colza ou de tournesol
  • 1 cc de graines de cumin  ou 1/2 cc de cumin en poudre
  • 1 petit piment frais haché (facultatif)
  • 1 pincée de sel
Pâte de curry Massaman:

Contre toute attente préchauffez votre four à 180°c :enduisez la tête d’ail et les échalotes d’huile d’olive ou de tournesol et faites les rôtir pendant 25 à 30 mn jusqu’’elles soit bien ramollies. Une fois cuite récupérez la chair et jetez les peaux. Réservez.

Coupez les tiges des piments  et décidez illico si vous voulez supprimez les pépins ou non : les pépins ajoutent bien entendu encore plus de piquant.

Après ce choix cornélien, coupez les piments en tronçons et attaquez les citronnelles : enlevez la première enveloppe puis détaillez-les  en biseaux de 2-3 cm. Aplatissez-les avec le plat du couteau en donnant un coup sec.

Torréfiez à sec dans une grande poêle les piments et la citronnelle pendant quelques minutes à feu moyen jusqu’à ce que les piments deviennent bruns. Réservez

Hachez ou râpez le gingembre et le curcuma.

Rassemblez toutes les épices sèches dans la même poêle c’est-à-dire la cannelle, le macis, les graines de coriandre et de cumin, la coriandre, le poivre, la cardamome et les clous de girofle. Laissez cuire à sec pendant 5 à 7 minutes : quand les épices embaument merveilleusement votre cuisine et que le cumin crépite c’est le moment de les enlever de la poêle. Réservez en saupoudrant d’une pincée de muscade fraichement râpée.

C’est le moment de passer aux choses sérieuses c’est-à-dire la pâte de curry, pardi !Deux écoles s’affrontent :

-L’école du mortier : non seulement ça défoule mais ça permet d’écraser (et non de couper) les ingrédients et de séparer les fibres pour un résultat bien plus parfumé qui nécessite peu d’ajout de matière liquide. Commencez par la citronnelle, les piments, et les épices sèches puis faites suivre avec les anchois, le gingembre, le curcuma et le sel et le reste des ingrédients. Mélangez pour finir avec un peu d’eau pour obtenir une pâte crémeuse.

-L’école du mixer : vous êtes pressés et les histoires de mortier vous laissent indifférents voire pire :vous n’avez pas de mortier! Profitez de l’absence de témoins thaïlandais  pour mixer tous les ingrédients sauvagement avec un peu d’eau.

Votre pâte de curry est prête ! Elle sera encore meilleure le lendemain quand les parfums auront le temps de se mélanger. Vous pouvez également la congeler en petites portions

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Kochumbir de carottes :

Mélangez tous les ingrédients sauf les cacahouètes et laissez reposer au frais.

Saupoudrez de cacahouètes concassées (ou de noix de cajous/noisettes) juste avant de servir.

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Curry de poulet aux navets et à la patate douce :

Dans une grande cocotte, chauffez 2 c à s d’huile de tournesol. Ajoutez 2 c à s de pâte de curry et chauffez pendant 5 minutes.

Salez légèrement les dés de poulet puis jetez-les négligemment dans la cocotte : enrobez bien le tout de pâte de curry et dorez 3 minutes sur chaque côté les morceaux de viande, à feu moyen. Enlevez la viande et réservez.

Pelez les tiges de citronnelle en enlevant la première couche puis coupez en biseau des tronçons de 3-4 cm. Ecrasez avec le plat du couteau

laitcocoDans la cocote vidée, ajoutez la citronnelle, l’oignon, la cardamome, le bâton de cannelle, le laurier séché et le reste de pâte de curry. Faites rissoler quelques minutes jusqu’à ce que la pâte lâche son parfum.

Mouillez avec 200ml d’eau et la moitié du lait de coco, ajoutez 2 c à s de sucre et 2 c à s de nam pla, le jus d’un citron(ou d’une lime) ainsi que les navets et la patate douce puis portez à ébullition.

Baissez le feu, couvrez et laissez cuire à feu moyennement doux pendant 20 à 25 minutes.

Remettez les dés de poulet dans la cocotte, ajoutez le reste de lait de coco et laissez cuire à feu doux pendant dix minutes.

Terminez en ajoutant la cuillerée de sucre et de nam pla restant, le zeste et le jus d’une lime, les cacahouètes et la coriandre fraiche.

Servez chaud avec du riz blanc et le kochumbir.Curry7

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Commentaires

  1. […] Je songeais à cette magnificence  pourprée en coupant d’un geste ferme et impitoyable mon chou rouge en deux : à défaut de mollusques,le monde végétal peut offrir les mêmes émotions chromatiques. Et la robe de mon chou  n’avait rien à envier aux mollusques antiques. J’étais tombée en amour à l’instar de la patate douce de l’épisode précédent ! […]

  2. Bravo pour votre poésie Ça change tout
    Recettes succulentes Quel bonheur!

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