Miche complète de petit épeautre aux graines de lin et de courge, sans pétrissage
par Hind
D’aussi loin que je me souvienne j’ai toujours eu une passion pour le pain. Surtout le pain maison.
Ainsi, enfant, mon moment préféré de la semaine était le vendredi à 17 h tapantes. Cet instant précis conjuguait deux bonheurs à nul autre pareils dans mon cœur de gamine à nattes : il y avait d’abord l’hebdomadaire emprunt de livres et de bandes dessinées à la bibliothèque (la vénérable bibliothèque PIE X qui continue de survivre dans mon Rabat natal) qui ouvrait le vendredi de 17 à 19h et ensuite le goûter au pain maison, préparé soigneusement par ma mère.
L’espoir en bandoulière, je m’apprêtais à pleurer toutes les larmes de mon corps avec Cosette, à trembler pour le comte de Monte-Cristo ou à imaginer toutes les voix des personnages d’Asterix tout en respirant à plein poumons les effluves du pain maison. Le beurre fondait onctueusement sur les tranches de pain chaud que j’arrosais ensuite de miel et de thé à la menthe: rien n’aurait pu se comparer à ce moment de félicité parfaite, à ce temps de l’innocence où la vie n’a pas encore trop abîmé les espérances…
D’autres personnages de mon enfance peuplent mon imaginaire du pain.
Il y avait d’abord la fameuse ‘Boulangerie Française’ du quartier de l’Agdal dont le propriétaire maîtrisait l’art de la baguette à un point que les files s’étiraient devant la boulangerie si l’on ne s’y prenait pas à temps : enfant je m’occupais avec plaisir de cette course qui me permettait de croquer dans la baguette croustillante sur le chemin du retour tout en achetant une autre gourmandise dans cette boulangerie jadis de renom : le mille feuille à la française, dont le glaçage parfaitement maîtrisé et le merveilleux feuilletage faisaient palpiter mon cœur à l’idée des délices futurs ! Mais ceci est une autre histoire.
A l’autre bout du spectre il y avait le vénérable’ fernatchi’ (ou moul el ferrane), un métier hélas en voie de disparition et jadis présent dans tous les quartiers de la vieille ville, alias la médina. Fernatchi ou moul ferrane tire son étymologie du patronyme ‘ferrane’ en arabe dialectal marocain, lui-même tiré de l’arabe classique, ‘fourn’ c’est-à-dire four.
Le fernatchi, c’était un peu le maître du feu et de la mémoire, d’où la fascination totale qu’exerçait ce métier sur la môme que j’étais. Le fernatchi s’occupait en effet du four à bois collectif qui alimentait les hammams et utilisait cette source de chaleur pour cuire les pains et gâteaux du quartier ainsi que d’autres préparations qui cuisaient longuement sous la cendre comme la délicieuse spécialité marrackchie ; la tanjia, un ragoût de viandes mijoté pendant 7 à 12h sous la cendre dans une jatte en terre cuite hermétiquement scellée!
Chaque quartier avait son fernatchi, chaque famille avait un signe bien distinctif pour marquer ses pains qui arrivaient sur de grandes palettes recouvertes de linge chez le ‘Moul El ferrane’ et là le miracle opérait : sans papier, sans note, presque sans paroles, le fernatchi avait le don de mémoriser chaque palette, son contenu et son temps de cuisson. Il ne se trompait quasi jamais d’où mon éblouissement d’enfant devant ce talent ancestral. Dans cet océan de pains domestiques, le fernatchi était un roi indétrônable.
Le charme du pain maison opère toujours sur moi : en témoigne les différentes publications de ce blog dans la rubrique boulangerie. Je ne me lasserai sans doute jamais de cette magie de la fermentation qui ,à partir d’ingrédients simples , opère à chaque fois des transformations merveilleuses.
Aujourd’hui je vous propose donc ma technique de pain sans pétrissage ;un retour aux sources pour un pain qui ne demande pas d’ustensiles sophistiqués mais uniquement un saladier en verre, vos mains et un ingrédient précieux : le temps ! Le temps ,cette belle affaire, comme dirait l’autre.
J’utilise ici une technique apprise de ma mère que par la suite j’ai trouvée documentée dans plusieurs livres de boulangerie sous le nom de technique de soufflage : on ne pétrit point mais on se contente de soulever les coins de la pâte en les rabattant sur le dessus. Et ce 4 fois en 1 h c’est-à-dire toutes les 15 mn : ensuite on laisse la pâte lever tranquillement sans rien faire.
Vous pouvez également trouver une technique similaire dans ma recette de ciabatta sans pétrissage .
Voici quelques conseils pour le pain sans pétrissage.
–Quels types de farines conviennent à cette technique ? : toutes les farines complètes, semi-complètes et intégrales ainsi que les céréales anciennes. D’où l’intérêt quand on cuisine biologique : le pain sans pétrissage permet d’utiliser facilement des farines du type petit épeautre, kamut, seigle, orge ainsi que les farines complètes de blé et d’épeautre pour obtenir un pain à la mie peu dense et bien aérée. Choisissez donc des farines biologiques complètes et variez les plaisirs : elles sont plus intéressantes sur le plan nutritionnel et gustatif.
-Quid de l’hydratation ?: vu la nature des farines ci-dessus, le pain sans pétrissage est un pain très hydraté : 70% à 80% d’eau selon les farines, c’est à dire pour 100g de farine 70 à 80g d’eau sont nécessaires. Pas d’inquiétude, avec la pratique, nul besoin de précision : votre œil et vos mains seront votre mesures pour juger de la texture de la pâte.
–Mais donc la pâte est collante ? La grande question qui hante les boulangers en herbe ! Mais oui bien entendu, et là nul besoin de rajouter de la farine comme dans la panification traditionnelle : il suffit de se mouiller les mains légèrement pour manipuler la pâte. J’ai dit légèrement hein ! inutile de briser le fragile équilibre de la pâte.
–Ça dure combien de temps c’t’ affaire ? Vu que l’on ne fait rien ou presque de ses dix doigts dans cette méthode de panification, c’est le temps qui s’en charge. Il faut compter 2 à 6 heures de levée lente selon les farines. Quand la pâte a doublé de volume et que de belles bulles apparaissent, c’est prêt ! Donc ne faites rien (toujours un bon conseil) mais surveillez votre saladier de temps à autre. Jouez avec vos farines et avec la pratique vous maîtriserez les temps de levée qui sont très variables selon les températures , les chaumières etc..
-Mouler ou ne pas mouler ? That is the question ! Up to you my dear. Faites comme bon vous semble : les amateurs de miche rustique comme moi feront confiance aux forces de la gravité sans craindre l’étalement fatal , les autres peuvent sans problème utiliser des moules huilés et farinés. Dans l’exemple ci-dessous, aucun moule n’a été violenté.
–Dois-je m’équiper en matériel coupant , cher voire dangereux pour obtenir les fameuses grignes ? Que nenni ! C’est toute la beauté de la panification sans pétrissage : nul besoin d’incision préalables, les grignes apparaissent toutes seules sous la pression du gaz carbonique.
–levain, poolish, levure ? toutes les techniques de ferment sont possibles : jouez avec les possibilités ! Ici j’utilise de la poolish , une technique facile qui donne de bons résultats à condition de s’y prendre la veille.
-Bon ,et « ce soufflage » de pâte ? cela consiste à emprisonner délicatement de l’air dans la pâte avant l’étape de la levée. Pour ce faire il faut faire le geste de rabattage suivant toutes les 15 mn pendant 1h c’est-à-dire 4 fois : on s’humidifie les mains légèrement, on soulève délicatement un bout de pâte par le bas et on le ramène vers le centre, doucement, sans appuyer, on tourne le saladier d’un quart de tour puis on recommence 3 fois. On couvre soigneusement et on attend 15 mn avant de recommencer. C’est tout. Après le 4ème soufflage, on laisse la pâte lever tranquillement sans rien faire.
Ingrédients :
Poolish (à préparer la veille)
- 100g de farine de petit épeautre complet biologique
- 120g d’eau tiède
- 5 g de levure sèche de boulanger
Pour le pain :
- 50g de farine de petit épeautre complet biologique
- 150g de farine de petit épeautre blanc biologique
- 100g de farine de froment blanc biologique T65
- 270 ml d’eau tiède
- 2 c à s de son de blé
- 3 c à s de graines de courges(en vente dans tous les magasins bio)
- 2 c à s de graines de lin(idem que les graines de courge)
- 1 cc de sucre de canne biologique
- 4 g de levure sèche de boulanger
- 5 g de sel
+Un peu de farine de petit épeautre complet pour la cuisson et l’apprêt
Poolish :
La veille ,sortez un grand saladier en verre et entamez les opérations : mélangez la farine de petit épeautre complet, l’eau et la levure. Mélangez à la cuillère en bois juste le temps d’amalgamer les ingrédients. Filmez le saladier hermétiquement avec du film alimentaire, couvrez d’un linge propre et laisser fermenter toute une nuit
Panification et levée :
Mélangez toutes les farines, les graines ainsi que le sel , le sucre et le son de blé.
Découvrez la poolish : ajoutez le reste de levure et d’eau dans le saladier puis mélangez bien. Ensuite versez le mélange de farines ci-dessus. Touillez mollement avec une cuillère en bois ou à la main jusqu’à obtenir un mélange homogène et collant. Couvrez avec un linge ou filmez hermétiquement et laissez lever 15 mn.
Ensuite entamez pendant une heure la technique de soufflage décrite ci-dessus (et relisez les conseils de la technique en question dans l’introduction): au bout d’une heure de rabattage, couvrez de nouveau et laisser la pâte lever jusqu’à doubler de volume. Chez moi il a fallu environ 2h30 pour une levée satisfaisante avec les farines choisies.Mais selon les températures chez vous, il faudra peut-être un peu plus ou moins longtemps.
Apprêt et Cuisson :
Faites chauffer le four à 240°C, chaleur tournante, disposez une lèche-frites en bas du four.
Une fois le four bien chaud, préparez une taque de cuisson avec du papier sulfurisé. Farinez légèrement le papier cuisson.
Humidifiez légèrement vos mains, découvrez la pâte et renversez là délicatement sur un plan de travail généreusement fariné(vu la consistance plus liquide de la pâte cela aidera au façonnage). Façonnez grossièrement en miche en farinant bien l’ensemble : nulle besoin de technique sophistiquée ici, mais simplement et amoureusement entourez la pâte de vos mains (ou à l’aide d’un coupe pâte de boulangerie) pour en faire un ovale ou une boule rustique. Transférez ensuite le pâton sur la taque de cuisson à l’aide d’une palette ou de vos mains, délicatement. Saupoudrez le pain de farine de petit épeautre complet uniformément.
Versez de l’eau au ¾ dans la lèche-frites puis enfournez le pain, au milieu du four pour 30 minutes.
Au bout d’une demi-heure, baissez le feu à 180°C puis poursuivez la cuisson pour 15 mn.
Sortez votre œuvre du four puis laissez refroidir sur une grille. C’est prêt !
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