Ajvar, le volcanique et balkanique dip aux aubergines et poivrons
par Hind
Egypte, 1882. Le pays dépend encore théoriquement de l’empire ottoman mais se retrouve dans les faits sous tutelle britannique.
Lui c’est Mahmoud. Officier cairote , sanglé dans un impeccable uniforme avec tarbouche incorporé,il promène son corps svelte, son élégante moustache , sa beauté ténébreuse et son dandysme oriental dans le Caire agité de cette fin du XIX siècle. Mahmoud est tourmenté par l’avènement de cette nouvelle colonisation, Mahmoud est excédé par la faiblesse de L’Egypte, Mahmoud n’a pas vraiment choisi de devenir officier. Mais quand il sourit, le temps s’arrête, son visage transfiguré rayonne comme une clairière soudain consacrée par le soleil.
Elle , c’est Catherine. Elle est rousse, elle est veuve, elle est irlandaise et elle a tout abandonné pour venir en Egypte. Catherine se passionne pour les hiéroglyphes , pour l’Egypte pharaonique et pour Alexandre le grand. Elle a appris l’arabe classique et se rêve en archéologue aventureuse.
Mais voilà il y a le sourire de Mahmoud.
Ces deux-là ,que rien ne prédestinait à se rencontrer finissent par s’abandonner à une passion dévorante. « Mon pays irlandais », c’est ainsi que Mahmoud surnomme Catherine.
Et puis il y a le destin. Tragique, violent comme toujours. Il y a cette ombre autour de Mahmoud, ce conflit intérieur du patriote déchu qui le poursuit: Catherine le sait, le sent mais son amour lui donne une force inépuisable.
Mahmoud est affecté comme gouverneur de Siwa, une oasis lointaine aux confins de la frontière égypto-libyenne. On raconte que ses prédécesseurs n’ont pas survécu à leur mission, on raconte que les habitants ont des meurs étranges tirées de leur héritage berbère, on raconte qu’on s’y livre à des luttes fratricides et qu’on y déteste par-dessus tout les représentants étatiques.On dit aussi qu’Alexandre le grand serait mort dans cette forteresse du désert.
Et voilà Mahmoud et Catherine , fraîchement mariés en route pour cette oasis du bout du monde, vers un avenir incertain. Leur amour s’effrite au rythme du vent des sables tandis que le spleen de notre officier ténébreux gagne chaque jour davantage de terrain. Le désert rend fou , le désert brûle les âmes, déchaîne les passions: rien ni personne ne peut en sortir indemne.
Catherine et Mahmoud sont les protagonistes de ‘ L’oasis du couchant’ (Wahet El Ghoroub),un roman épique sur fond d’exil, de guerres, de colonisation et de romance avec un souffle poétique servi par la langue d’un des plus grands écrivains égyptiens contemporains, Bahaa Taher. Le roman est également engagé politiquement en décrivant avec justesse les fractures sociales et politiques des sociétés arabes, entre désir de modernité et poids des traditions,qui perdurent encore jusqu’à nos jours.Et c’est via des pérégrinations anodines sur la toile que j’ai découvert cette œuvre prenante aux accents shakespeariens grâce à une excellente adaptation télévisuelle en feuilleton ramadanesque par une chaîne égyptienne.
Je succombai illico à l’élégie et à la dimension crépusculaire de ce récit envoûtant, aidée il faut bien le dire par l’impeccable jeu d’acteurs de Khaled EL Nabawy(Mahmoud) et de Menna Shalaby( Catherine), qui incarnent tous deux brillamment ce couple au destin tragique. Et puis il y eut aussi le sourire ravageur de Khaled mais ceci est une autre histoire.(ahum)
Je cédai donc au charme vénéneux de Siwa tout en dégustant de l’ajvar généreusement tartiné sur des pains pitas : ce sont des choses qui arrivent.
Mais qu’est ce que l’ajvar me direz-vous à juste titre?
je vous répondrai entre deux bouchées que c’est tout simplement un condiment/tartinade/dip issu des balkans à base de poivrons grillés et d’aubergines, traditionnellement concocté en grillant les légumes sur du charbon de bois avant d’être savamment hachés avec de l’ail et accessoirement du piment pour une version piquante mais facultative. Deux écoles s’affrontent : celle de l’ajvar lisse pour une tartinade bien ronde en bouche, et celle de l’ajvar finement haché conservant la texture des légumes. J’ai choisi la première option pour sa couleur volcanique !
Et une fois qu’on a préparé de l’ajvar on ne sait plus s’en passer, un peu comme le sourire de Mahmoud : on peut le tartiner sur une tranche de pain, l’incorporer dans des pates, une pizza ou un risotto, sortir une omelette de l’ennui, transfigurer un hoummous ou encore l’utiliser comme marinade pour des viandes blanches. Il est tout aussi impérial à la petite cuillère. L’ajvar hein , pas Mahmoud.
En route pour ma version d’un ajvar domestique , destination moins grandiloquente je vous l’accorde que l’oasis de Siwa.
(et pour les arabophones qui erreraient sur ces pages voici le lien vers le feuilleton(et son très beau générique), et pour tout le monde le lien vers le roman)
Pour environ 500 à 600ml d’ajvar :
- 6 poivrons rouges
- 2 aubergines
- 1 tête d’ail
- 1 cc de piment frais épépiné et haché(facultatif)
- 2 c à s de vinaigre de cidre
- 4 c à s d’huile d’olive et un peu plus pour badigeonner les légumes
- Sel,poivre
Préchauffez le four à 200°C
Coupez les poivrons en deux, épépinez-les et enlevez les petites membranes blanches. Tranchez également les aubergines en deux et pratiquez des incisions en formes de quadrillage.
Badigeonnez les poivrons, le tête d’ail et les aubergines généreusement d’huile d’olive. Salez légèrement et enveloppez l’ail dans du papier aluminium.
Disposez tous les légumes sur deux plaques(oui il y a beaucoup de poivrons) allant au four et faites rôtir pendant 30 minutes.
Sortez les légumes du four et enfermez les poivrons dans un sac de congélation (cela aidera à enlever la peau).Laissez tiédir les légumes pendant une petite demi-heure.
Epluchez les poivrons, débarrassez les aubergines de leur peau et prélevez la chair de la tête d’ail rôtie.
Mixez tous ce petit monde avec le piment, le vinaigre et l’huile d’olive. Salez et poivrez à votre convenance.
Transvasez le tout dans une grande poêle et laissez réduire à feu doux pendant une heure en remuant mollement de temps à autre.
Conservez au réfrigérateur dans un bocal en verre. L’ajvar peut se conserver ainsi jusqu’à une semaine mais si le cœur vous en dit vous pouvez aussi le garder dans des bocaux stérilisés pour une plus longue conservation (mais le mien n’a pas tenu plus d’une semaine face à une dégustation féroce et assidue).
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Ça y est il est prêt. Il attend sagement au frais l’heure de l’apero. C’est un vrai délice. J’ai juste remplacé le vinaigre de cidre par du balsamique. Merci pour vos recettes c’est un plaisir de vous lire
Merci Emmanuelle:) Au plaisir de vous croiser sur ces pages pour d’autres recettes légumistes:)