Curry de poulet à la betterave, raita carottes-tonda di Chioggia
par Hind
Vingt-cinq ans.
C’est le temps qu’il aura fallu à Léonard de Vinci pour terminer un de ses chefs d’œuvres : la vierge aux rochers. Au grand dam de la confrérie milanaise de l’immaculée conceptions (ordre des franciscains) qui dut certainement s’arracher les cheveux : la commande initiale était en effet prévue endéans les ..7 mois !
Transportons nous au XVième siècle, à l’époque de cette étrange affaire. Fraîchement débarqué de Florence où il était protégé par le redoutable et redouté Laurent le magnifique, le jeune Léonard , trente ans, artiste déjà reconnu ,part à la conquête de Milan.
La vierge aux rochers est sa première commande : le contrat date précisément de 1483 et est signé en bonne et due forme devant notaire. On estime que De Vinci finit le tableau vers 1486 mais sans pour autant le livrer.
En effet , pendant plus de vingt ans ,une série de litiges juridiques va l’opposer à notre confrérie tatillonne qui estime que plusieurs clauses du contrat étaient loin d’être respectées. Un ange en lieu et place de deux prophètes, un nombre de musiciens inexacts , des couleurs de vêtement transgressives. C’en était trop pour notre pieuse et pointilleuse confrérie : Léonard avait beau avoir inventé la technique révolutionnaire du sfumato, les moines ne voyaient dans ce génie rebelle qu’un fieffé coquin, un sacripant barbouilleur, bref en tout point un pendard retardataire qui ne méritait point son salaire. Face aux menaces pécuniaires , Léonard et ses assistants se fendront d’une deuxième version qui elle… ne sera jamais achevée !
Le lecteur curieux peut d’ailleurs admirer les deux versions : l’originale est précieusement conservée au Louvre, la deuxième à la national gallery de Londres.
Mais le génial Léonard n’en restera pas à ce coup d’essai : il mettra ainsi plus de quinze ans à terminer la joconde , quant à ses dessins de robots, d’hélicoptères, de sous-marins ou encore de tanks( !), il ne prendra jamais le temps de les publier. Sur son lit de mort, on raconte que notre talentueux touche à tout aurait soufflé avant de s’éteindre : » J’ai offensé Dieu et l’humanité parce que mon travail n’a pas atteint la qualité qu’il aurait dû »
Vous l’aurez compris, le sieur léonard, perfectionniste féroce était aussi un procrastinateur chronique. Beaucoup de ses travaux sont restés inachevés que ce soit en sciences, en ingénierie ou en peinture pour cause d’ajournements successifs. En témoigne le petit nombre de tableaux qui nous est parvenu :une quinzaine au mieux !
Et les procrastinateurs célèbres sont légion ! Copernic, un contemporain de De Vinci, va mettre plus de vingt ans , et uniquement sous la pression de son professeur, avant de publier son ouvrage révolutionnaire sur l’héliocentrisme( qu’on suppose aujourd’hui très fortement influencé par les travaux d’un astronome et mathématicien de Damas, Ibn AL Shatir) De Revolutionibus Orbium Coelestium, qui place définitivement le soleil au centre du système solaire.
Victor Hugo lui aussi excellait dans l’art d’ajourner les travaux utiles : histoire d’éviter les tentations de sortie , notre écrivain passionné demandait à ses domestiques de le débarrasser de tous ses vêtements avant de l’enfermer dans son étude, nu comme un ver. C’est ainsi qu’il acheva Les Misérables et notre Dame de Paris. Les malheurs de Cosette prennent tout de suite une autre tournure vu sous cet angle naturiste.
Melville, l’auteur du célèbre Moby Dick, usait d’une méthode encore plus radicale : il demandait à sa femme de tout simplement l’enchaîner à son bureau. Les aventures haletantes du capitaine Achab seraient donc nées des mains d’un homme captif et de son œuvre et de sa table !
Ce jour là, ami lecteur, je me sentais comme Melville et De Vinci : non que je comparasse mon esprit au génie de ces illustres créateurs mais j’avais passé un an à différer, retarder, reculer l’échéance. Et les dieux du subjonctif n’y étaient pour rien.
L’échéance de quoi, me demandera le lecteur virtuel mais attentif ? Celle du Chukhandar ka gosht pardi , alias un curry indien d’agneau à la betterave. Ah ça en jette dans les chaumières !
Un an que cette étonnante recette du nord de l’inde vagabondait dans mon esprit, torturait mes rêveries culinaires sans pour autant se concrétiser : il y avait toujours une soupe, un ragoût, une salade , une popote concurrente qui venait ravir la place malgré mon amour inconditionnel de la betterave sous toutes ses formes.
Ce jour là je décidai de mettre fin à ses atermoiements : on allait voir ce qu’on allait voir ! La rave suave allait se transformer en curry des braves.
Sauf que je n’avais pas d’agneau sous la main, ayant hautement réduit ma consommation de viande rouge et de viande tout court depuis quelques temps.
Qu’à cela ne tienne, un voyage au fond de mon congélateur me révéla la présence inespérée de cuisses de poulets désossées : l’honneur était sauf.
Je n’eus donc pas à cuisiner dans le plus simple appareil (idée intéressante s’il en est) ni à m’enchaîner à la cuisinière pour adapter ce délicieux curry qui révèle la betterave sous un autre jour : la sauce capiteuse, épicée et parfumée m’avait conquis sans autre artifice. Sans parler de cette couleur insolente qui à elle seule suffit à dissiper les visions de ciels bas et de canaux pendus.
J’ai accompagné le tout d’une raita à la carotte et à la betterave tonda di Chioggia (la fameuse betterave rose zébré) pour rester dans les tonalités hivernales et continuer à promouvoir les légumes de saison.
Je vous conseille de cuire les betteraves la veille, histoire de gagner du temps dans la préparation du curry. De même que le poulet gagne à mariner la veille pour encore plus de goût. Ce n’est pas le moment de procrastiner : l’affaire est en tout point sérieusement goûtue. Mais rien ne sert de courir: il faut partir la veille.
A vos cocottes!
Pour 4 personnes :
Pour le curry :
- 600 à 800g de cuisses de poulet biologique désossées
- 4 petites betteraves (environ 400g)
- 1 oignon rouge émincé finement
- 6 gousses de cardamome verte légèrement concassées au mortier
- 2 feuilles de laurier sec
- 1 petite écorce de macis
- 1 bâton de cannelle
- 1 anis étoilé
- 3 clous de girofle
- 1 cc de piment rouge frais épépiné et haché
- 1 cc de graines de cumin
- 2 cc de coriandre moulu
- 1/2 cc de cumin moulu
- ½ cc de garam masala
- Sel au gout
- 2 c à s d’huile végétale pour la cuisson( olive ou tournesol, sinon du ghee c’est bien aussi)
- 1 cc de fécule de maïs délayé dans 2 c à s d’eau tiède.
Finition
- 1 petit bouquet de coriandre effeuillée (ou de persil c’est bien aussi)
- Le jus d’une demi orange (sanguine c’est encore mieux et de saison)
- Quelques feuilles de menthe
- 1 poignée de pistaches ou d’amandes torréfiées légèrement à la poêle sèche pendant 4-5 mn
Marinade du poulet
- 2,5 cm de gingembre frais
- 6 gousses d’ail
- 2 c à s de yaourt à la grecque
- 2 c à s d’eau
Pour la raita
- 1 betterave tonda di chioggia pelée et râpée
- 1 carotte pelée et râpée
- 350g de yaourt à la grecque
- 1 cc de graines de cumin
- 1 cc de graines de fenouil
- 1 cm de gingembre frais pelé et râpé
- 1 cc de sucre
- 1 pincée de sel au goût
- 1 poignée de feuilles de menthes fraîche hachées
La veille :
Faites cuire les betteraves non pelées à l’eau légèrement salée (ou encore au four à 180°c) pendant environ 1h. Les raves doivent être cuites tout en gardant encore un peu de texture
Pendant que la rave se meurt, passons à la marinade du poulet. Pelez le gingembre et l’ail, mixez le tout finement avec le yaourt et l’eau puis versez sur les cuisses de poulet
Le lendemain :
Pelez les betteraves : râpez-en deux à la grosse râpe et mixez les deux autres finement. Réservez.
Préparez la raita : torréfiez à sec pendant 4-5 mn à feu moyen les graines de cumin et de fenouil. Laissez refroidir .Mélangez tous les ingrédients de la raita sauf le sel.(sinon le yaourt va se déliter). Salez au moment de servir.
Chauffez 2 c à s d’huile dans la cocotte à feu moyen (5 sur induction). Jetez-y la cardamome, la cannelle, l’anis étoilé, les feuilles de laurier, les clous de girofle et les graines de cumin. Attendez que tout ce petit monde commence à chanter avant d’ajouter l’oignon émincé. Salez un chouia,baissez légèrement le feu et touillez pendant 7 à 8 mn jusqu’à ce que l’oignon commence à fondre.
C’est le moment d’ajouter le poulet avec sa marinade ainsi que le fécule délayé : mélangez bien puis ajoutez la coriandre moulue, le piment moulu et le piment. Salez puis mouillez à hauteur avec un peu d’eau mais sans noyer le poulet(environ 250ml d’eau).
Laissez mijoter à couvert pendant une petite demi-heure.
Ajoutez la betterave mixée et faites cuire 10 à 15 mn supplémentaires. En fin de cuisson , ajoutez le garam masala et le jus de la demi-orange
Hors du feu , garnissez le curry avec les betteraves cuites râpées, les feuilles de coriandre et de menthe et les pistaches.
Servez avec du riz basmati ou des naans et la raita sur le côté.
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