Boulghour psychédélique à la betterave rôtie et à la grenade
par Hind
O toi le faucon orgueilleux
O toi l’oiseau sur la dune qui soudain déploie ses ailes
Je n’ai jamais vu de gazelles obéir aux éperons
Ni de chevaux domestiques revenir à l’état sauvage
Je n’ai pas vu non plus le fier palmier donner ses dattes trop tôt
Car si l’on s’impatiente on ne récolte que des fruits amers
O toi le loup qui hurle dans les bois
O mes jours, o mes nuits, pourquoi avez-vous dévié
Quel destin funeste m’avez-vous réservé
Moi j’aime tous les êtres humains
Et je croyais qu’ils m’aimeraient en retour
Même ceux qui m’ont fait taire
Où m’emmènes-tu mon frère, où m’emmènes-tu
Coup après coup, qui arrêtera le massacre
Amis, Ne nous reprochez pas l’exil
Ne nous reprochez pas l’exil car on y prend gout
Ne nous reprochez pas l’amour de la femme étrangère
Car ce n’est pas une passion passagère.
Je n’ai pas oublié le tambour
Je n’ai pas oublié la kasbah
Je n’ai pas oublié le moussem(*festival de musique/danse marocain)
Ni les chevaux aux couleurs chamarrées
Ni les portes antiques
Ni les psalmodies mystiques
Je n’ai pas oublié mon douar
Au pays des kasbahs
Je n’ai pas oublié l’amitié
Ni le blé des caravansérails
je n’ai pas oublié ma vie,o compagnons de l’amour
je n’ai pas oublié mes gens,
du fin fond de ma détresse
Où m’emmènes-tu frère Où m’emmènes- tu?
Ne m’a tracassé
Ne m’a couté
Que la séparation avec mes amis
[….]
Ne m’a tracassé
Ne m’a couté
Que notre soleil et sa lumière de braise
Extrait (avec traduction approximative )de « Fin Ghadi byia Khouya , Fin ghadi byia » i.e Où m’emmènes-tu mon frère, où m’emmènes-tu ?» de Nass Al Ghiwane.
Il y a une interjection poétique qui donne le frisson puis à la minute 2 :32 la transe commence, et la voix d’un chanteur mort depuis longtemps ,ressurgit ,avec une puissance intacte.
C’est la transe de Nass El Ghiwane, littéralement « les gens de la chanson », un groupe marocain mythique, qu’un célèbre admirateur, Martin Scorcese, va surnommer « les Rolling Stones de l’Afrique ».
Nous sommes au début des années soixante-dix au Maroc. Cinq jeunes garçons dans le vent, issus d’un quartier pauvre de Casablanca, vont révolutionner la musique marocaine en brassant folk, rock ,blues et musiques plurielles marocaines.
Ils chantent la liberté, l’oppression, le courage, la jeunesse, l’espoir mais aussi l’amour, la beauté et la paix dans un contexte politique tendu.
Cinq jeunes garçons dans le vent, troubadours modernes, porte-voix des sans-voix qui inventent un art musical unique mêlant textes soufis et poésie en darija(dialecte arabe marocain, à ne pas confondre avec les langues berbères) tout en puisant dans le riche patrimoine musical du royaume .
Ils s’inspirent ainsi de la Aita rurale des chickhates (groupes de femmes marocaines musiciennes des campagnes), du raffinement de la musique arabo-andalouse, des puissantes et mystérieuses transes Gnawas, cette fameuse musique des descendants d’esclaves venus d’afrique sub-saharienne, en y apportant un souffle nouveau et singulier.
Cinq jeunes garçons toutes tignasses dehors, en « pattes d’eph » conquérantes, qui n’utilisent ni batterie , ni guitare électrique ni synthétiseur : ils ont au contraire l’excellente idée de réintroduire des instruments traditionnels comme le guembri ou hajhouj (luth utilisé par les gnawas)) , le tabl(petites timbales de percussion traditionnelles), le bendir (tambour du cru) en les associant à du luth et du banjo.
Cinq jeunes garçons au verbe légendaire, qui déclament leurs poèmes au rythme de ces instruments ancestraux avec une intensité qui déchainera les ferveurs des foules, sensibles à ce mélange d’authenticité et de liberté créatrice.
Certains membres du groupe sont morts aujourd’hui, d’autres sont partis mais Nass El Ghiwane est toujours là, envers et contre tout.
J’écoutais donc cette chanson en mode nostalgique, en m’imprégnant de cette langue qui prend aux tripes et de cette musique lancinante. Et tout cela m’avait mis en appétit !
Il me fallait donc une recette qui célèbre les seventies vrombissantes, façon hommage aux poètes et musiciens chevelus de tout poil par delà les frontières (osons, osons).
Et quoi de mieux que de commencer l’année en fushia pétardant avec des parfums de l’ineffable betterave et la délicatesse de la grenade pour célébrer la saison en couleurs vibrantes ! Le tout mélangé à du boulghour pour un accompagnement seventies totalement psychédélique.
Ce plat peut être servi en buffet, en accompagnement de viandes blanches ou avec des légumes rôtis ou encore une petite salade de crudités. L’ajout de fromage de chèvre ou de brebis est par ailleurs fortement autorisé et complète bien la douceur de boulghour vitaminé.
Pour 4 personnes
- 200g de boulghour fin (en vente dans les magasins bio)
- 3 betteraves rouges de taille petite à moyenne
- 1 à 2 grenades
- 2 petites échalotes ou un oignon moyen
- 1 gousse d’ail
- 1 poignée de feuilles de menthe fraiche
- 1 c à s de graines de fenouil ou de carvi, torréfiées à la poêle sèche pendant 5 minutes.
- 1 c à s de thym frais haché (à défaut séché)
- ¼ cc de piment en poudre (facultatif)
- 1 c à s de vinaigre balsamique
- 3 c à s d’huile d’olive
- Sel, poivre
Facultatif : feta ou fromage de chèvre pour servir.
Sus à la betterave rôtie ! préchauffez le four à 200°C, enduisez légèrement les betteraves d’huile d’olive et d’un peu de sel avant de les envelopper dans du papier aluminium ou du papier sulfurisé. Faites cuire pendant 1 h à 1h 30 selon la taille des bestioles (testez avec un couteau). Laissez refroidir avant de peler. Ce mode de cuisson a pour avantage de concentrer les sucres des betteraves pour un résultat délicieux.
Attaquons le boulghour : pour cela deux techniques de cuissons s’offrent à vous:
-La cuisson à l’eau :portez 400ml d’eau légèrement salée à ébullition dans un petit poêlon, ajoutez le boulghour en pluie, baissez le feu immédiatement au minimum .Couvrez et laissez cuire une dizaine de minutes. Laissez reposer hors du feu, toujours à couvert pendant une vingtaine de minutes avant d’égrener le tout à la fourchette
-La cuisson à la vapeur : chemisez un cuit-vapeur (ou un rice cooker) de mousseline fine (sauf si les trous de la passoire sont inférieurs au diamètre des graines du boulghour, shadock power !). Mouillez le boulghour à hauteur avec de l’eau tiède et laissez reposer 15 minutes. Versez dans le cuit-vapeur et laissez mijoter pendant 45 mn à 1h : testez la cuisson du grain en goutant, il doit être moelleux sans être farineux.
Une fois ces histoires d’école résolues, place au psychédélisme ! Mixez finement une des betteraves pelées avec la gousse d’ail, le vinaigre balsamique et l’huile d’olive. Salez et poivrez légèrement puis versez sur le boulghour encore tiède. Mélangez délicatement puis égrenez à la fourchette pour continuer à aérer les grains. Et admirez votre œuvre colorée !
Hachez les échalotes et détaillez le reste de betteraves en brunoise. Ciselez grossièrement les feuilles de menthe et récupérez les graines de la grenade.
Mélangez le boulghour rose avec la betterave en dés, les échalotes, le thym ,la menthe, la grenade ainsi que les graines de fenouil(ou de carvi) et le piment. Vous avez le droit de rajouter une lichette d’huile d’olive et de rectifier l’assaisonnement en sel et poivre.
Placez une vingtaine de minutes au frais avant de servir.
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